Le coaching en a-t-il fini avec sa phase de professionnalisation qu’il « traîne » depuis une petite dizaine d’années ? Ceux et celles qui en vivent sont aujourd’hui à la croisée des chemins : victime de son succès, la profession voit poindre de nouvelles formes de concurrence. Mais plutôt que de chercher à se réinventer, elle devra achever sa structuration pour assurer son avenir.

Se lancer en indépendant ? Pourquoi pas coach de quelque chose ? L’ennui, c’est que le raz-de-marée de candidats en laisse plus d’un(e) sur le carreau. « Beaucoup de nouveaux coachs – jeunes diplômés, managers en quête d’un nouveau sens ou en reconversion professionnelle – arrivent actuellement sur le marché. Mais un certain nombre déchantent en réalisant qu’il n’est pas forcément simple de se lancer dans ce métier », explique Philippe Duvillier, coach et président du syndicat français des acteurs professionnels du coaching (Sfapec).
Rien que dans la Haute École de coaching qu’il a cofondée, 250 professionnels sont formés chaque année. Et l’établissement refuse du monde ! Si le marché demeure ouvert, de nombreux écueils attendent forcément les deux premières années d’exercice de ces nouveaux entrants : création d’une entreprise, prospection, développement commercial et, surtout, constitution d’un carnet d’adresses. « L’inertie nécessaire à la création d’un réseau est particulièrement importante, car la réputation d’un coach dépend de son vécu et de la relation intime qu’il crée avec ses clients », reprend celui qui est devenu coach il y a près de dix ans.

Portail et call center

Cet afflux engendre paradoxalement l’émergence de nouvelles formes de concurrences. Dans le sillon de la tendance low cost, des call centers du coaching, aux prix cassés, émergent sur le marché et séduisent ces jeunes coachs en mal de clients. « Nous voyons se développer de plus en plus des sortes de hotline du coaching qui proposent un numéro à distance accessible à tous les salariés d’une entreprise, pointe Arnaud Hautesserres, coach certifié et DGA associé du cabinet Meltis, présent à Paris et Toulouse. Si, dans le coaching, nous nous permettons parfois des rendez-vous téléphoniques entre deux séances, ces méthodes posent question, en particulier pour la durée de l’accompagnement, la relation entre le coach et son client, et les objectifs fixés. »
Une distance effectivement très loin de faire l’unanimité parmi les coachs les plus expérimentés. « Ces portails, où le client choisit son coach sur photo, programme des séances sur un calendrier Google et échange en webcam ou par téléphone, ne dureront pas, juge sévèrement Paul Devaux, coach depuis 25 ans et fondateur du cabinet Orygin coaching. En dématérialisant la relation, on perd beaucoup de l’intelligence de la situation qui rend le coach pertinent, ce qui nuit fortement à la qualité de la prestation. »

Coachs internes et coachs de vie

D’autant que le métier fait d’autres émules. Les clients historiques des prestations de coaching – les grands groupes, puis les PME – semblent mesurer l’efficacité de ces séances, au point de former désormais leurs propres coachs en interne. C’est le cas de grands groupes industriels, aéronautique, mais aussi de transport ferroviaire, dans le secteur bancaire ou le conseil. À Toulouse, Airbus met par exemple à disposition de ses employés de plus en plus de salariés certifiés au coaching dans des structures externes. Ils interviennent souvent en soutien de projets, pour faciliter des groupes de travail ou accompagner des chefs de projets. « Ce sont souvent de très bons coachs, car ils cumulent de l’expérience, du vécu et une excellente connaissance du terrain, approuve Arnaud Hautesserres. Même il peut se révéler encore plus intéressant de faire appel à des personnes extérieures, avec davantage de liberté d’action et de neutralité car moins soumis aux influences politiques ou stratégiques de l’entreprise. »
Avec la percée du développement personnel (méditation, pleine conscience, neurosciences) dans la société et au sein des organisations, une foule de jeunes « coachs de vie » émergent sur le marché. « Très visibles, ces professionnels créent un amalgame délicat à gérer pour les coachs d’entreprise. Et pour cause, malgré des méthodes variées, plutôt basées sur des outils de développement personnel et une certaine méconnaissance des enjeux de l’entreprise, ils suscitent un flou chez les clients professionnels », estime Arnaud Hautesserres.

Formation et certification

Cette confusion recèle pourtant un versant positif pour la profession. Car l’essor de la prise en compte des relations humaines dans l’entreprise laisse surtout entrevoir de belles perspectives sectorielles. « Globalement, notre métier devrait encore se développer de manière importante. La place de l’humain dans l’entreprise, le travail collaboratif et la manière dont les organisations s’adaptent à ces nouvelles exigences deviennent prépondérants chez les jeunes générations, anticipe Hautesserres. Or, c’est une problématique dans laquelle le coaching a toute sa place. »
Mais pour y arriver, les organisations professionnelles du coaching entendent d’abord achever la mutation de leur activité. « Le métier n’est pas encore tout à fait mature : une minorité parmi les 4 000 à 6 000 coachs français sont certifiés RNCP et reconnus par l’État. Mais c’est le cas pour une très large majorité des nouveaux coachs, en revanche », observe Philippe Duvillier. Ces formations apportent une méthodologie et un processus complet histoire de “contraindre le client à réussir”. Le coaching n’est pas une discussion de salon. Il demande une communication professionnalisée et des outils précis. » Pour acquérir ces compétences, le futur coach doit ainsi investir entre 4 500 et 6 000 euros, pour 7 mois de formation.

Supervision et thérapie

Les coachs les plus exigeants poussent même le sérieux jusqu’à reprendre les méthodes de professionnels de l’écoute et de l’accompagnement, comme les psychologues. « Diplômé de l’école Coach and team – fondée par Vincent Lenhardt [l’un des pionniers du coaching professionnel en France, il y a 30 ans, ndlr], j’en applique les règles d’éthique : être supervisé collectivement par un coach et suivre un accompagnement thérapeutique personnel afin de ne pas “polluer” la relation individuelle avec mes clients par des problématiques personnelles », précise Arnaud Hautesserres.
Une qualité de formation qui devra, à terme, finir par séparer le bon grain de l’ivraie. « On ne s’improvise pas coach. Ceux qui veulent véritablement progresser doivent nécessairement se former toute la vie pour devenir de plus en plus performant dans l’écoute et la communication afin d’offrir un miroir le plus propre possible à leur client », estime Paul Devaux.

Fantasmes et miracles

Pour l’heure, ces méthodes rassurent les clients habituels des prestations de coaching mais n’effacent pas encore totalement les dernières réticences des autres. « Une certaine méconnaissance persiste sur les attentes envers notre profession : certaines entreprises perçoivent encore nos prestations comme de la thérapie déguisée. Et d’autres y voient une solution miracle à tous leurs problèmes, constate le directeur général adjoint de Meltis. Or, il demeure parfois délicat pour un coach de refuser ces demandes inadaptées au risque de dégrader l’image globale de la profession lorsque le résultat n’est pas atteint. »
Une « aide » extérieure inattendue pourrait cette fois accélérer la mutation en cours. La rediffusion, mi-novembre, d’une enquête de France Inter déjà diffusée en mai cette année, Pour vivre heureux, vivons coachés, s’était consacrée aux dérives de la profession. Un choc ! Qui semble avoir réveillé les consciences. « L’émission a entraîné un débat vif entre les coachs qui aboutit pour beaucoup sur le besoin de poursuivre notre travail d’éducation, à travers les multiples fédérations professionnelles, et de mettre en avant nos bonnes pratiques, analyse Arnaud Hautesserres. L’idée n’est pas d’éjecter les coachs les moins sérieux mais d’opérer une sélection naturelle en communiquant davantage sur notre formation et notre code éthique : contrat, confidentialité, champ de compétence du coach, objectifs clairs et fin de l’accompagnement. »
C’est à ce prix que les coachs « sérieux » s’ouvriront de nouvelles perspectives séduisantes, depuis l’essor des coaching d’équipe en remplacement des team building moins productifs, jusqu’à la propagation du coaching aux plus petites entreprises, aux professions libérales et au secteur public, en passant par la fidélisation de leurs clients tout au long de leur carrière professionnelle.

Source: Ecoréseau