Phénomène purement américain ? Eh bien non, selon une étude réalisée par Microsoft au niveau mondial, 41% des salariés envisageraient de démissionner en 2022.

Alors on le sait, entre une intention et une action, l’écart est souvent grand… mais tout de même. D’ailleurs, en France, selon la DARES (direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), en juillet 2021, le niveau de démission de CDI était supérieur de 19.4% comparé à deux ans en arrière, et les ruptures anticipées de CDD étaient supérieures de 25.8% au niveau de 2019.

Oui, la tendance est là, il n’y a absolument aucun doute possible et son impact est très, très direct. Pour 73% des dirigeants d’entreprise, selon une étude du cabinet de conseil Deloitte, la difficulté de recruter les meilleurs talents représente la première menace sur les entreprises pour l’année à venir. Et oui, qui dit démission dit difficulté de recrutement, car ces démissions sont basées sur des éléments souvent très concrets, que ce soit le salaire, les conditions de travail ou le bien-être en général.

Bien entendu, au-delà de l’évolution des attentes de la part des salariés, la baisse régulière du chômage rend possible ce mouvement et, de vous à moi, appartenant à la génération qui n’a connu que le chômage de masse, il faut s’en réjouir !

Mais comment les entreprises peuvent-elles agir ? Cette grande démission est-elle une fatalité ? Non, bien entendu, mais il est urgent, très urgent d’agir, et ce pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.

1 – Écouter ses salariés, vraiment

Les confinements ont paradoxalement créé une grande distance entre celles et ceux qui télé-travaillaient et leur entreprise. Malheureusement, beaucoup d’entreprises n’ont pas bien géré le retour de confinement. Beaucoup pensaient qu’une sorte de « retour à la normale » était envisageable. En 2020, personne n’imaginait que cette pandémie durerait aussi longtemps… Nous avions même de savants professeurs qui nous expliquaient que la chaleur de l’été suffirait à faire disparaitre la COVID.

Force est de constater aujourd’hui que le monde d’avant n’est plus, et qu’il ne reviendra JAMAIS. La notion de lien n’a jamais été aussi importante que de nos jours. Et nous passons de situation anxiogène en situation anxiogène depuis des années !

Gilets jaunes, grandes grèves SNCF et RATP, COVID et aujourd’hui, guerre en Ukraine qui nous fait penser qu’une troisième guerre mondiale n’est pas forcément à exclure. Qui pourrait penser étant donné ce contexte qu’un salarié pourrait accepter le moindre stress provenant de son employeur sachant qu’il/elle a la possibilité de travailler ailleurs ?

Oui, je fais partie d’une génération qui a entendu cette phrase : « tu sais, si tu n’es pas content, il y en a 10 qui veulent ton travail ». Ce temps est derrière nous, et il faut s’en réjouir. Seules les entreprises qui changeront de logiciel et passeront d’un discours descendant à une écoute active remontante réussiront à recruter et à fidéliser les talents.

Oui… cela ne sera pas simple à gérer tant le retard en termes de bien-être est gigantesque à rattraper… mais à cœur vaillant rien d’impossible, n’est-ce pas ?

2 – Mettre l’équilibre vie privée/vie professionnelle comme priorité absolue

Avec la COVID, nous sommes nombreux et nombreuses à avoir pris conscience que notre vie privée était fondamentale. Je me rappellerai toujours cette interview d’Alexia Laroche Joubert durant laquelle elle m’a dit avoir découvert le bonheur de dîner avec ses enfants durant le premier confinement, et qu’il était hors de question qu’elle se prive de ce plaisir aujourd’hui.

Oui, paradoxalement, la violence du premier confinement nous a fait découvrir l’impérative nécessité d’avoir une vie privée apaisante. Un manager qui continuerait à organiser des réunions à 19.00 un vendredi, ou à envoyer des emails le soir ou le week-end va courir le risque de voir son équipe démissionner les uns après les autres.

Cela peut en étonner certains, mais pour fidéliser un salarié aujourd’hui, il faut lui prouver que sa vie privée est aussi importante, pour ne pas dire plus, que son travail ! Avant la pandémie, il était possible d’entendre des phrases comme « tu prends ton après-midi » en parlant d’un collègue qui partait à 17.00 pour aller chercher ses enfants… ce n’est plus acceptable et ce n’est plus accepté.

Le mouvement de la grande démission, c’est une sorte de retournement des rapports de force entre les salariés et les entreprises dans un nombre grandissant de catégories socio-professionnelles. Selon l’INSEE (organisme indépendant pour rappel), si vous êtes bac+2 et plus et que vous avez moins de 45 ans, c’est le plein emploi dans les grandes métropoles… pourquoi faire des compromis avec son employeur quand on peut trouver mieux, plus agréable et mieux payé ailleurs ?

Je dois bien dire qu’en tant que représentant de la génération X qui a vécu la pression au chômage depuis son diplôme de sa grande école de commerce en 1992… je bois du petit lait. Je sais, c’est un tantinet mesquin, mais j’assume et je suis heureux de savoir que nos enfants ne connaitront pas la même pression économique que nous.

D’ailleurs, dans cette veine, le Groupe Orange vient d’annoncer la création du Congé Respiration. Tout salarié de plus de dix ans d’ancienneté peut demander à bénéficier d’un congé de trois à douze mois pour travailler dans une PME ou une start-up, enseigner ou participer à un projet de recherche, se former sur un sujet sans rapport avec son activité professionnelle ou s’engager auprès d’une association. Mais il ne s’agit pas d’un congé sabbatique puisque ce congé est rémunéré à hauteur de 70%.

Oui, les entreprises vont devoir être créatives pour attirer, et garder les talents !

« Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu’on ne les a pas tentées. » André Gide

3 – Passer à un management par objectif et lutter contre toutes les formes de présentéisme

Ma génération était payée pour faire des heures… spécificité française. Partir avant son manager pouvait être mal perçu, un petit peu comme au Japon où, encore aujourd’hui, si vous partez avant votre manager, il est de bon ton d’aller le voir pour vous excuser de ne pas être solidaire de son travail.

Désormais, les salariés n’en peuvent plus. Ils ne veulent pas travailler plus, ils veulent travailler mieux. Si un commercial est payé pour faire un chiffre d’affaires de 100, quelle importance qu’il le réalise en 2 jours ou en 4 ? Aucune… mais ça, c’est aujourd’hui, parce qu’avant, le nombre d’heures passées au bureau était plus important que le travail réalisé.

Les entreprises qui ne verront pas leurs salariés partir en masse seront celles qui diront clairement qu’elles n’en ont rien à faire du nombre d’heures travaillées et que la seule chose qui compte, ce sont les résultats.

Combien de managers ont osé poster sur LinkedIn des messages pour dire que dans télétravail, il y avait le mot « travail », sous-entendant par là même que les salariés ne faisaient rien en télétravail. La grande démission, c’est aussi une défiance vis-à-vis de ces managers d’un autre temps qui n’ont toujours pas compris que le monde d’avant ne reviendrait jamais.

La peur a changé de camp

La grande démission n’est que la conséquence de dizaines d’années de frustration accumulées par les salariés qui subissaient la menace du chômage pour accepter tout et n’importe quoi. Avec le plein emploi qui devient une réalité pour un nombre grandissant de catégories socio-professionnelles, la peur a changé de camp. Les entreprises ne font que payer leur comportement agressif pendant des années.

Mais cette grande démission n’est pas une fatalité. Je vois beaucoup d’entreprises qui font un constat froid et cartésien de la situation… et qui agissent.

Soyons heureux et heureuses que le chômage recule et qu’il soit de plus en plus compliqué de recruter. Désolé pour tous mes amis DRH, mais c’est une réalité, un monde de plein emploi est un monde complexe pour eux, mais tellement plus agréable pour les salariés qui… ont le choix !

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(*) Depuis plus de 6 ans maintenant, Gaël Chatelain-Berry écrit et fait des conférences pour faire évoluer leur management et l’entreprise en intégrant la notion de bienveillance en théorisant dès 2016 le management bienveillant. Son dernier livre « Le manager bienveillant 2.0 » (First Edition). Son dernier roman : « Sois un homme ma fille ». Il est également l’auteur du Podcast « Happy Work », le podcast francophone le plus écouté sur le bien-être au travail.

Source : La Tribune